Les parents algériens de Farid Aïd, 42 ans,
tête de liste Front de gauche à Pierrefitte,
n’ont jamais pu voter.
«On est là depuis
tellement longtemps...»
Libération - RACHID LAÏRECHE - 17 MARS 2014 - PORTRAIT
http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/17/on-est-la-depuis-tellement-longtemps_987876
Fin de matinée à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).
Dans une petite rue du centre-ville, le QG de Farid Aïd (42 ans), tête de liste du Front de gauche.
Costume bleu, chemise blanche, cravate, il range des affiches avec son équipe.
Sa photo est partout : des murs de la permanence jusqu’à la camionnette garée devant la porte.
Prolixe, le candidat vante les grandes lignes de son programme, confiant.
Les sondages l’annoncent pourtant quelques points derrière Michel Fourcade, le sortant PS. A quelques jours du scrutin, l’objectif de conquérir cette ville de 28 000 habitants semble s’éloigner.
Un membre de son équipe l’assure pourtant :
«Vous avez en face de vous le prochain maire de Pierrefitte.»
Farid Aïd donne des consignes, jette un coup d’œil à son téléphone et file chez ses parents, à quelques kilomètres de là.
Un petit pavillon banal à la déco intérieure moderne.
Le père, Hamid, 68 ans, est arrivé d’Algérie en 1948, accompagnant son propre père, charbonnier de profession.
Il avait 6 ans.
La mère, Salhia, 56 ans, a atterri dans le Val-d’Oise à 9 ans.
Le couple s’est installé à Pierrefitte en 1974. Une éternité.
Hamid, manutentionnaire à la retraite, a travaillé trente-cinq ans dans la même entreprise.
Et Salhia, elle, a fait grandir ses cinq marmots avant de devenir animatrice dans les écoles. Aujourd’hui, elle a tout arrêté pour s’occuper d’un de ses garçons «affaibli» après un accident cérébral.
Lourdeurs.
Le 23 mars, les parents Aïd, Algériens, ne pourront pas voter pour leur rejeton lors du premier tour des municipales.
Pas plus au second.
Dans le salon, autour de la table, le père rappelle que, «pendant la présidentielle, Hollande a dit à la télé que les étrangers pourraient voter.»
La mère évoque, elle, sa déception :
«On est là depuis tellement longtemps qu’on pensait que cette année serait la bonne.»
Le fils fait, lui, une lecture politique de la situation :
«Le plus triste, c’est cette gauche qui donne des leçons aux autres, promet des choses, mais ne respecte pas sa parole.»
Salhia, la plus bavarde des trois, remonte au créneau :
«On se sent exclus parce qu’on écoute, on suit l’actualité, on a notre propre opinion, mais on ne peut pas l’exprimer.»
Le père et le fils acquiescent.
Hamid Aïd et sa femme ont un autre regret.
Nés avant l’indépendance de l’Algérie, donc Français, ils ont choisi par la suite la seule nationalité algérienne.
«Au départ, on n’a pas trouvé l’utilité de devenir français.
Alors qu’on a passé presque toute notre vie ici, on n’a pas ressenti ce besoin à part pour avoir le droit de vote, explique Salhia.
Mais, aujourd’hui, on se dit qu’on aurait dû prendre les deux nationalités, tout aurait été plus simple.»
En théorie, elle peut encore le faire, mais les lourdeurs administratives freineraient ses ardeurs.
Hamid, nostalgique des années Mitterrand - «avant, la France, c’était le paradis» - confirme : «On a eu tort. Mon ancien patron me disait tous les jours
"donne tes papiers et je m’occupe des démarches".
Je repoussais, sans savoir pourquoi.»
Son fils le coupe :
«Ça t’a pénalisé dans ton travail.
Tu n’as pas pu devenir contremaître parce qu’à ton époque, dans ton entreprise, il fallait être français pour le devenir.
A cause de ta nationalité, tu n’as pas pu progresser.»
«Origines».
A l’approche des élections municipales, le couple craint pour son fiston.
La mère : «C’est un petit peu compliqué pour lui parce qu’il est fils d’étrangers, alors qu’il a beaucoup donné pour la ville.
J’espère que les gens ne vont pas s’arrêter à sa photo ou à son nom.
Il ne mérite pas ça.»
Elle enchaîne : «Il faut dire la vérité, on regarde toujours les origines de nos enfants alors qu’ils sont français.»
Farid Aïd confirme ces préjugés :
«Le pire, ce sont les hommes et les femmes politiques qui utilisent les origines.
Ici, je sais que certaines personnes m’accusent de faire du communautarisme.»
Le père observe l’échange, alors que son fils rappelle que, petit, il avait déjà un titre : «On m’appelait Monsieur le maire, dans le quartier.»
La tête de liste du Front de gauche a travaillé dans l’associatif très jeune. Il a ensuite rejoint le Parti communiste (PCF) après avoir repoussé les avances de la concurrence locale.
Lorsqu’on interroge les parents sur l’éventualité de voir leur fils devenir maire de la ville, alors qu’eux n’ont pas le droit de vote, le père se marre.
La mère, elle, lève la tête et lâche d’un ton sec :
«Non, ce n’est pas normal, franchement, pas normal.»
Farid Aïd pourra tout de même compter sur les voix de ses frères et sœurs et de sa grand-mère maternelle, qui, elle, a conservé la nationalité française après l’indépendance de l’Algérie.
En attendant, les parents Aïd espèrent la victoire de leur fils pour faire «la fête ensemble». Français ou pas.