Observatoire Citoyen du CRA de Vincennes
Nous visitons régulièrement des personnes retenues au CRA de Vincennes dans le but de témoigner de cet enfermement et des drames humains qu'il provoque.
Citoyens vigilants, nous voulons dénoncer cette pratique systématique de la "détention" administrative des étrangers assimilant les migrants à des délinquants, faire connaître à la société civile ce qui se passe dans ces centres - la presse n'y ayant pas accès - et sensibiliser les élus parlementaires, seuls autorisés à visiter ces lieux.
Chroniques de rétention: Quand le traducteur de la préfecture est expulsable
Témoignage d'un intervenant en CRA (Centre de Rétention Administrative) de la Cimade. L'histoire de Monsieur O., Camerounais, est simple et banale. Son interpellation s'est passée dans les règles. Il n'y a rien à faire...
«Monsieur O. est un jeune Camerounais qui finit tout juste ses études de philosophie quand il quitte la Grèce pour la France en 2005, où il vient rejoindre sa tante. Arrêté quelques jours après son arrivée, l’Administration lui notifie une invitation à quitter le territoire français. Aujourd’hui, la loi n’appelle plus cette mesure «invitation», mais «obligation».
Remarqué dans les couloirs de la préfecture de police de Paris par les interprètes officiels parce qu’il parle en grec au téléphone, il est orienté vers des responsables du lieu. Il parle anglais, allemand, grec moderne, et quelques langues du Cameroun: une aubaine. Alors qu’il s’apprête à repartir vers son pays d’origine, un emploi lui est proposé comme traducteur pour la préfecture de police qui fait disparaître son invitation à quitter le territoire et lui délivre une autorisation provisoire de séjour de trois mois et lui fait signer un contrat. Sans rien lui demander d’autre qu’une photo d’identité et son passeport.
Sa qualité professionnelle reconnue, le bouche à oreille fait son œuvre et une fois son contrat avec la préfecture terminé, il est orienté en 2006 vers le ministère de l’Intérieur où il estembauché comme interprète par le commissairedivisionnaire de Lognes, chef de l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre de la direction centrale de la police aux frontières. Des autorisations provisoires de séjour lui sont délivrées une à une.
L’Etat a besoin de lui semble-t-il: il enchaîne les contrats. Après le ministère, c’est à la gendarmerie de Coulommiers qu’il travaille comme traducteur: c’est le tribunal de grande instance (TGI) de Meaux qui le rémunère. Résident sur le territoire avec une autorisation et un salaire, Monsieur O. construit sa vie, comme tout un chacun. En juin 2006, il s’installe à Tours, avec son amoureuse, résidente régulière. Ensemble, ils élèvent une petite fille qui a aujourd’hui deux ans. Il n’en est pas le père biologique, mais assiste à l’accouchement, coupe le cordon ombilical, l’aime, s’en occupe au quotidien, comme un père. Elle ne connaît que lui et la famille avance.
Monsieur O. se met à travailler comme professeur de grec et d’anglais dans un collège à Tours: il bénéficie d’un contrat d’accompagnement à l’embauche de neuf mois. L’Etat a encore besoin de lui à ce moment, pour servir la France en matière d’immigration irrégulière comme interprète au TGI d’Evry. Il ne veut pas refuser ce travail et fait donc les allers-retours entre Evry et Tours. Il s’agit d’un emploi pour le greffe des procédures de reconduite à la frontière dans le cadre du contentieux des étrangers. Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, on lui demande ensuite de travailler pour la PAF de Roissy, puis pour celle de la gare du Nord en 2008. Ce contrat avec la PAF lui donne encore une fois, comme depuis trois ans, à une autorisation provisoire de séjour. Un provisoire qui dure: il ne s’agit pas de lui permettre l’installation.
Lorsque son contrat avec la PAF de la gare du Nord prend fin, les autorisations de séjour cessent.Plus besoin, on jette. Monsieur O. se rend à la préfecture de Tours, qui dit ne rien pouvoir faire pour lui, il doit se tourner vers celle de Paris. Et puis, avec un CDI, ce serait mieux, un contrat de neuf mois n’est pas suffisant pour lui accorder un titre de séjour. Monsieur O. s’exécute, il cherche un travail.
Obligé de quitter provisoirement la région de Tours pour aller prospecter à Paris, il s’éloigne : la vie de famille en prend un coup, mais tout le monde tient bon, Papa doit travailler.
Il trouve un emploi mais se fait rapidement arrêter au volant de sa voiture de service. Menotté, placé en rétention, jugé. Et c’est un sacré hasard de la vie qui fait qu’il est placé, le 13 février, dans un centre de rétention qui dépend du TGI d’Evry, où il était traducteur quelques mois auparavant.
Cette fois, l n’est pas là pour aider, mais pour sa propre expulsion. Le tribunal l’assigne à résidence: au lieu d’attendre son expulsion enfermé, il l’attendra depuis son domicile. Quelle chance!
Suite au recours déposé devant le tribunal administratif, il est entendu le 18 février à Versailles. Son employeur lui a délivré une promesse d’embauche. Il attend de voir jusqu’où la blague ira. Il attend de voir si elle lui coûtera son travail, et sa famille, et sa dignité.
Dans l’après-midi, le tribunal annule l’arrêté de reconduite à la frontière et enjoint la préfecture de réexaminer la situation.»