LA CHASSE CLANDESTINE AUX DEMANDEURS D'ASILE
21 MARS 2014 | PAR FINI DE RIRE - DROIT DES ETRANGERS, Blog sur MEDIAPART
http://blogs.mediapart.fr/blog/fini-de-rire/210314/la-chasse-clandestine-aux-demandeurs-dasile
Les demandeurs d'asile déboutés, dont on ne veut plus entendre parler, comment s'en débarrasser?
C'est à quoi s'attache une note ministérielle qui avait vocation à rester secrète, mais qui a fuité. Que nous dit cet épisode?
L'asile est un droit défini par la Convention de Genève.
La France, en la ratifiant, s'est engagée à accorder le titre de réfugié
"à toute personne (...) qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays".
Dans la pratique, c'est
l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA)
qui reçoit et examine les demandes
et, en cas de refus, la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA) reçoit les recours.
En cas de refus définitif, la logique administrative est claire et nette: le demandeur débouté doit quitter le pays qui le refuse.
Je suis à la recherche d'une paire de bottes et je n'en trouve pas dans une première boutique, tant pis, je vais aller voir ailleurs.
Nous expliquions dans un récent billet combien, de l'avis de tous, le système de réception et de soutien de ces personnes déracinées et en souffrance était scandaleusement insuffisant. De rapports en promesses, on attend toujours son amélioration, présentée comme urgente. Le nombre annuel de demandeurs, qui suit l'état des guerres dans le monde, est très fluctuant et que nous sommes dans une période haute; pourtant le nombre de titres de réfugiés accordés chaque année reste stable.
Il est fort probable qu'il y a des quotas - dommage pour ceux qui trouvent la porte fermée, et auxquels on reprochera par des formules stéréotypées de ne pas apporter de preuves suffisantes des persécutions qu'ils ont fuies.
Dans certains cas, ces quotas sont connus; ainsi dans le cas de la Syrie, des États se sont engagés sur des chiffres d'accueil pour 2014:
1200 réfugiés en Suéde,
10000 en Allemagne,
... 500 en France.
Rappelons que "demandeur d'asile" n'est pas le simple descriptif d'une situation.
C'est un statut prévu par la loi.
La personne en demande de protection ne peut s'adresser à l'OFPRA directement.
Elle doit d'abord faire valider sa démarche par la préfecture.
Les barrages commencent à ce niveau, pour les ressortissants des pays déclarés "sûrs" par l'OFPRA, pour les personnes entrées en Europe par un autre pays.
Le triple périple d'une famille tchétchène raconté ici en est l'illustration caricaturale mais bien réelle.
Après des années de tentatives répétées, le préfet a fini par autoriser cette famille à solliciter l'OFPRA, qui vient de délivrer le titre de réfugié à la mère et à la fille aînée.
Cela se passait à la Roche-sur-Yon (Vendée) où, le 11 mars dernier, l'interpellation à son domicile d'une famille déboutée en vue de son expulsion a été effectuée par des policiers déguisés en déménageurs, venus avec une camionnette de location aux couleurs d'une grande surface !
***
Le traitement administratif et policier des migrants occupe un rang éminent dans la continuité de l'action de l'État.
Les endurcissements légaux patiemment accumulés depuis 2002 souffraient d'une application trop timide.
Le pouvoir actuel s'attache, lui, à la productivité des dispositifs de rejet.
Ainsi, une lettre de cadrage adressée aux préfets par le ministre en charge de l'immigration donne dans un détail frisant la maniaquerie une série de conseils qui devraient aider les préfets à mieux faire déguerpir ces indésirables - accusés, pour faire bonne mesure, de fraude
(selon l'adage "Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage").
La missive, signée par le ministre de l'Intérieur,
n'était pas destinée à être rendue publique; si elle a fuité c'est qu'il existe au ministère de l'Intérieur ou dans les préfectures des gens qui n'approuvent pas cette démarche.
Sans entrer dans le détail des mesures préconisées, mesures dont certaines pourraient bien être illégales, signalons un coup de menton républicain:
"En cas d'intervention dans un foyer ou dans un hôtel, je vous rappelle que la protection juridique du domicile s'applique aux espaces privatifs (chambres et appartements) et que les services interpellateurs ne peuvent y pénétrer sans l'accord de l'intéressé".
Ouf ! On respire.
Pour échapper à l'expulsion, il suffit de ne pas sortir dans le couloir où les services interpellateurs vous attendent.
Notons au passage que l'un des moyens évoqués est de renforcer le croisement des fichiers de la police avec ceux de l'OFPRA.
Cette confusion des rôles était difficile à envisager tant que l'asile dépendait du ministère des Affaires Étrangères; mais il se trouve que le gouvernement précédent, dont le clan aujourd'hui au pouvoir était alors l'opposant, a regroupé tout cela dans le giron du ministère de l'Intérieur !
***
La révélation de ces instructions ministérielles a mis les associations en effervescence et provoqué quelque débat sur Mediapart.
Une question posée dans la discussion est restée sans réponse:
"Qu'est-ce qui peut justifier qu'une personne déboutée [de sa demande] d'asile ne soit pas reconduite à la frontière, dans un dispositif où le droit d'asile est octroyée par la puissance publique?"
Il faut d'abord questionner l'expression une personne déboutée de sa demande d'asile.
Notre pays a pris des engagements internationaux, et l'analyse, très brièvement résumée ci-dessus, de la façon dont la puissance publique prétend respecter ses engagements montre à l'évidence un dévoiement vers un esprit de gestion comptable, dans un oubli sélectif des objectifs de la Convention de Genève.
L'autre partie de la question mentionne l'interdiction faite aux personnes déboutées de persister dans leur parcours d'installation.
Certes, tout le monde n'admet pas de gaîté de cœur que l'État décide de qui peut vivre sur le territoire qu'il gère et de qui ne peut pas, mais le fait est que c'est la loi qui définit cette distinction.
Plus la loi est fermée et plus il y aura de situations irrégulières, car l'impulsion vient des migrants et la loi ne peut que se positionner en défense.
Or le législateur n'a cessé depuis des décennies de renforcer ces défenses.
On se trouve donc avec quelques centaines de milliers de personnes dont la vie est ici et qui vont rester bloquées pendant des années à attendre le délai légal (dix ans en général, cinq ans dans certains cas) qui leur rendra leur liberté de mouvement avec un titre de séjour.
Oui, la puissance publique peut faire cela, avec l'accord tacite du législateur.
Est-ce vraiment une politique digne de ce nom ?
***
Cette affaire d'instructions clandestines renvoie à notre question
Rejet de l'étranger;Pourquoi ?
La réponse automatique
"on applique la politique promue par le Front National pour attirer ses électeurs"
ne tient pas: comment faire entrer dans un plan de communication des mesures que l'on cache ?
On peut aussi se demander pourquoi un pouvoir élu par la gauche ne touche qu'à la marge à la loi sur le séjour des étrangers; on nous dit qu'une discussion de fond au parlement mettrait inutilement le "bazar"...
Inertie de la loi ? Timidité du législateur ?
C'est possible: ainsi, trente ans après sa création, le PACS n'a toujours pas trouvé sa place dans la loi sur le séjour des étrangers.
Cet épisode renvoie tout droit à l'appel de François Bonnet concernant l'État profond mis en place au long des décennies:
"il est un autre chantier à mettre en œuvre qui est de renverser cet «État profond» méticuleusement construit par la droite de 1995 à 2012".
Il est question là de séparation des pouvoirs, mais l'injonction est tout aussi pertinente pour la politique de l'immigration.
Mépris de la justice, mépris de la liberté d'informer et d'être informé, mépris du peuple, mépris des étrangers, tout se tient.
Martine et Jean-Claude Vernier