Communiqué de presse - 11 juin 2015
DE PAJOL AU CENTRE DE RÉTENTION
EN VIOLATION DU DROIT D’ASILE
Suite à l’évacuation musclée de la halle Pajol, les forces de l’ordre ont enfermé plus de 30 migrants dans les centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot, de Palaiseau, du Palais de justice et de Vincennes.
Les personnes de nationalité érythréenne et soudanaise souhaitent pourtant, pour la majorité d’entre elles, demander l’asile en France. Certaines ont déjà entrepris des démarches à cette fin.
Contrairement aux affirmations des pouvoirs publics, leur droit d’asile est donc violé. Au lieu d’une protection, d’une prise en charge et d’un hébergement, ces personnes subissent des violences, un enfermement et une tentative d’expulsion.
Tout aussi aberrant, l’une d’entre elle détient le statut de réfugié en Italie. Pourtant elle s’est vue notifier une obligation de quitter le territoire français à destination de l’Érythrée.
Les pouvoirs publics utilisent ainsi une méthode similaire à celle utilisée à Calais l’été dernier et qui avait débouché sur la condamnation du préfet du Pas-de-Calais pour détournement de pouvoir le 19 février 2015. Les centres de rétention administrative ne sont pas destinés à disperser les « indésirables » et encore moins des lieux pour examiner les demandes d’asile. C’est au niveau ministériel que ce grave abus est à nouveau cautionné.
Comment une opération de cette envergure a-t-elle pu être envisagée et planifiée par les autorités au mépris du respect des droits les plus fondamentaux ?
Aucun demandeur d’asile ne doit être enfermé en centre de rétention administrative, les conditions pour un examen serein de leur dossier n’y sont pas assurées.
La Cimade demande, sans attendre, la remise en liberté immédiate de ces personnes.
Des solutions de relogement doivent être proposées et ceux qui le souhaitent doivent pouvoir demander l’asile en France et en liberté.
Évacuation humanitaire ?
Non, à La Chapelle,
les pouvoirs publics
ont dispersé la misère
02 juin 2015 | Par Carine FOUTEAU - Médiapart (Abonnez-vous!)
Le campement de La Chapelle a été expulsé mardi. Comment la mairie de Paris peut-elle se féliciter d'avoir mis à l'abri ses occupants, alors que beaucoup se retrouveront à la rue dans quelques jours ?
Le campement sous le métro aérien à la station La Chapelle, à Paris, sur lequel s’étaient installés environ 350 migrants venus principalement de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Ouest, a été expulsé mardi 2 juin 2015. Les cars de CRS ont commencé à se positionner dans les alentours aux aurores. La zone a été bouclée. En quelques heures, les lieux ont été vidés de leurs occupants. Sous le pont, les policiers ont bâché les affaires restantes. Certains exilés sont montés dans des bus. D’autres avaient passé la nuit ailleurs et n’ont pu accéder à leur tente. D’autres encore sont partis à pied avec leur sac plastique à la main.
En amont, ils avaient été recensés et séparés en deux groupes : d’un côté les personnes relevant de l’asile, c’est-à-dire susceptibles d’obtenir le statut de réfugié et donc de rester en France; de l’autre les migrants dits «économiques», considérés comme en situation irrégulière sur le territoire et à ce titre sans perspective aux yeux de l’État.
Les premiers ont été envoyés dans un centre en Région Parisienne d’où ils devaient être répartis dans différents Centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) en France. Selon le préfet de police de Paris, sur les 160 personnes identifiées comme demandeurs d’asile potentiels, une centaine se sont présentées dans la matinée.
Les autres, en transit, cherchent à rejoindre l’Angleterre ou l’Allemagne. Faute de lieu d’accueil temporaire correspondant à leur parcours, ces exilés dormiront dehors, ce soir et les soirs d’après.
Les seconds se sont vu proposer un hébergement d’urgence consistant en quelques nuits de mise à l’abri (en foyers ou en hôtels sociaux en Ile-de-France). Pour beaucoup, cette solution est pire que le statu quo : après une semaine maximum, ces migrants indésirables savent qu’ils seront remis à la rue, avec comme horizon un 115 saturé qui ne répond plus aux appels. Entre-temps,ils auront perdu leurs affaires(tente, couverture, matelas, réchaud, etc.) et leur recoin. Pour éviter de repartir de zéro, quelques-uns ont déserté le campement ces derniers jours, sachant que l’expulsion allait avoir lieu.
Au total, seules les personnes voulant demander l’asile et ayant une chance de l’obtenir profitent de ce processus. Pour les autres, c’est l’inverse. Plutôt que d’être rassemblés à un endroit où ils s’étaient fabriqué un semblant de sécurité, les migrants de La Chapelle sont désormais dispersés dans Paris, isolés et livrés à eux-mêmes. Plus invisibles encore qu’ils ne l’étaient avant que leur présence ne soit jugée intolérable.
Les pouvoirs publics présentent les choses différemment.
À lire les communiqués publiés par la préfecture de Paris (PP) et la mairie, un problème a été résolu de la manière la plus humanitaire qu’il soit et pour le bien de tous. Signe que la gauche est au pouvoir : l’exercice de la force se doit d’être justifié. L’argument, comme souvent dans ce genre de cas, est sanitaire. Des risques d’épidémie sont avancés pour rendre l’opération inévitable. Et incontestable.
«Lors de son dernier passage sur le site le 22 mai, indique la PP, le médecin mandaté par l’agence régionale de santé d’Île-de-France a précisé que les occupants de ce campement étaient soumis à un risque majeur “avec notamment la possibilité de transmission de parasitoses et la survenue d’épidémies de dysenterie”, une épidémie de gale n’étant pas à exclure.»Pas de cas avérés, donc, mais une expulsion préventive, en quelque sorte. Le directeur général de France terre d’asile (FTDA), cautionne: «On est là pour rassurer et faire monter dans les bus. C’est une opération sanitaire et d’accès aux droits.»
Il ne s’agit pas de dire que les conditions de vie étaient acceptables dans ce campement. Elles ne l’étaient pas. Les déchets commençaient à déborder de partout.
Mais la question est de savoir si une prise en charge médicale et un soutien en nettoyage n’étaient pas plus adaptés qu’une «évacuation»pour empêcher une épidémie.
Ce terme d’«évacuation», ensuite, est problématique, même s’il a une existence administrative, tant il euphémise la réalité. Répété en boucle par les responsables politiques et repris par les journalistes, il a pour effet de minimiser la violence subie par des hommes et des femmes sommés de quitter l’abri qu’ils s’étaient constitué. Expulsion, en ce sens, est plus approprié.
Sinon, pourquoi boucler la zone au petit matin ? Pourquoi recourir aux forces de l’ordre? Pourquoi empêcher les personnes de récupérer leurs affaires ?
S’agissait-il d’une opération de relogement ou de maintien de l’ordre ?
Sur Twitter, la maire de Paris lie les deux. Anne Hidalgo se félicite que la Ville «accompagne l’évacuation et la mise à l’abri des migrants». «Ceux-ci bénéficieront d’un accompagnement personnalisé», ajoute-t-elle.
Relogement ? Accompagnement personnalisé ?
La situation est plus sommaire. Plus dramatique aussi. La responsabilité, en l’occurrence, n’est pas celle de la Ville, mais de l’État, contraint par la loi française de loger les demandeurs d’asile et de mettre à l’abri les personnes sans toit.
En proposant des places, les services compétents ne font pas une faveur aux personnes concernées. Ils ne font que respecter leurs obligations.
Encore faut-il se rendre à l’évidence. Les solutions proposées aux «migrants économiques»sont de si courtes durées que la plupart hésitent à les accepter. Quant à l’accompagnement personnalisé, aucun des exilés rencontrés sur place ne sait à quoi cela fait référence.
Agissant en fonction d’intérêts distincts, la mairie et l’État ont fini par se préoccuper de ce campement car le nombre de migrants ne cessait d’augmenter. Avec les milliers d’arrivées ces derniers jours sur les côtes italiennes, il était peu probable que la tendance s'infléchisse. Il fallait envoyer des messages à l’opinion publiqueet aux occupants : pas question de laisser ce type de situation s’«enkyster», selon une expression utilisée sans gêne par de nombreux élus et agents administratifs. En procédant à une expulsion, les pouvoirs publics ont apparemment fait place nette. En fin de matinée, les pelleteuses et véhicules de nettoyage faisaient disparaître les traces de ce lieu de vie.
Quelle meilleure démonstration de leur action ? Pourtant, rien n’est réglé, ou si peu. Cette gestion de l’immédiat n’est pas de nature à changer la donne. Elle peut cacher la misère… le temps que celle-ci réapparaisse sous un autre pont.
Laisser des bidonvilles investir la ville n'est pas non plus une solution.
Mais la catastrophe humanitaire en cours, y compris en Europe de Lampedusa à Calais, ne peut se satisfaire des vieilles recettes de gouvernance de l'espace public.
Les logiques migratoires se modifient.
De nouvelles sortes d'accueil correspondant aux besoins doivent être trouvées.
Une politique renouvelée pourrait commencer par renoncer à faire appel aux forces de l'ordre quand le projet est de «venir en aide»aux migrants, comme l'affirme le communiqué de la Ville de Paris, aucune technique de contrôle des corps n'ayant jamais produit de l'hospitalité.
La Cimade est signataire ce jour d'une lettre ouverte envoyé au ministre de l'intérieur avec ses partenaires associatifs. Elle est en ligne sur le site :
http://www.lacimade.org/nouvelles/5435--Lettre-ouverte-au-Ministre-de-l-Int-rieur
Lettre ouverte
au Ministre de l’Intérieur
Monsieur le ministre de l’Intérieur
Monsieur le Directeur général de l’OFII
Monsieur le Directeur général de l’OFPRA
Madame le Maire de Paris
Lettre ouverte au Ministre de l’Intérieur
Copie au Directeur général de l’OFPRA et de l’OFII, à la Maire de Paris
Après avoir transité par Calais ou les rivages de la Méditerranée, au péril de leur vie, des personnes migrantes demandent la protection de la France. A la rue, cachées dans un jardin du 18e arrondissement ou sur le quai d’Austerlitz, aux abords de la cité de la mode, elles sont nombreuses à dormir dehors depuis plusieurs semaines à Paris. Elles viennent dans leur grande majorité de la Corne de l’Afrique, notamment du Soudan et d’Erythrée.
Nos associations peuvent témoigner de la détresse de ces nouveaux arrivants. En même temps que nous les informons de leurs droits, nous sommes bien obligés, à notre grande honte, de les avertir que ces droits ont de grandes chances d’être bafoués.
Leur présence dans la rue fait apparaître au grand jour la défaillance systémique des pouvoirs publics, incapables de fournir un accueil décent aux demandeurs d’asile comme aux personnes précaires en général et qui choisissent de recourir à la répression face à une situation humanitaire qu’ils ont laissée dégénérer.
La priorité, aujourd’hui, est que ces personnes puissent accéder à un hébergement stable. Toutes sont confrontées au manque de place en centre d’accueil pour demandeurs d’asile, à la saturation du dispositif d’hébergement de droit commun. Certaines n’auraient, nous dit-on, pas le droit d’être hébergées ? Faux : le droit à l’hébergement est un principe inconditionnel.
Ces personnes doivent avoir un lieu pour se laver, se nourrir, mais aussi se retrouver, être accompagnées et prendre le temps de réfléchir à leur avenir et aux démarches qu’elles souhaitent entreprendre en France.
A cet égard, celles qui souhaitent demander l'asile doivent pouvoir le faire rapidement et dans des conditions conformes à la loi. En Ile-de-France comme ailleurs, déposer une demande de protection est un véritable parcours du combattant. Les organismes de domiciliation sont saturés et la préfecture de police fait courir des délais de plusieurs mois avant de permettre le dépôt d’une demande d’asile. Les traitements éclairs exceptionnels par l’OFPRA de quelques demandes d’asile, qui ont ces derniers jours fait la une des médias, ne font que mettre en lumière, par contraste, l'arbitraire qui règne en la matière et l'absence de volonté politique d'accorder l'asile à toutes celles et ceux qui y ont droit.
Il faut enfin et surtout, que cessent les violences policières. Les évacuations pour quelques heures, avec destruction des effets personnels, comme nous en avons été les témoins ces derniers jours, sont inadmissibles car à la fois inhumaines et purement gratuites. Ce type de politique ne fait qu’aggraver la misère et attiser la défiance envers les pouvoirs publics. Le placement en rétention est évidemment intolérable quand il vise à expulser des personnes vers des pays où les violations des droits de l’homme sont généralisées ; mais il est tout aussi inacceptable lorsqu’on sait par avance que ces personnes ne pourront pas être expulsées et que l’enfermement est une mesure purement vexatoire.
Les personnes concernées et les associations qui les soutiennent ne demandent qu’une chose : qu'on applique le droit ! Le contexte de violences internationales nécessite la mise en place de dispositifs d’accueil et de protection pérennes. Ces solutions doivent répondre aux urgences d’aujourd’hui et aux préoccupations futures.
Ainsi nous demandons :
-
La cessation immédiate des violences et du harcèlement policiers (violences, intimidations, menaces, destruction des biens matériels) à l’encontre des personnes étrangères sans hébergement.
-
L’arrêt des interpellations et du recours à la rétention, la libération des personnes enfermées et l’abrogation des décisions d’éloignement.
-
Une réponse immédiate, humaine et conséquente des pouvoirs publics, par la mise en place d’un dispositif pérenne, pour assurer durablement la dignité et la sécurité de toutes ces personnes, et la garantie effective, transparente et égale de leurs droits :
- à l’hébergement et à la santé
- à décider librement de leur sort
- à accéder à la demande d’asile
Le 12 juin 2015.
Signataires:
ACAT France ; ATMF ; Centre Primo Levi ; La Cimade ; Comede ; Dom’Asile ; Elena ; Fasti ; GAS ; GISTI ; JRS ; LdH ; MRAP ; Secours Catholique.