L'expulsion, un aveu d'impuissance
à "maîtriser" l'immigration
04 DÉCEMBRE 2014 | PAR FINI DE RIRE
Expulser toujours plus d'étrangers, maintenir la menace sur tous, mais dans la discrétion officielle. Et faire du chiffre avec les voisins depuis l'outre-mer, avec les concitoyens européens depuis la métropole.
L'expulsion du territoire d'un étranger déclaré indésirable, cela commence souvent, mais pas toujours, par l'enfermement.
Le rapport commun 2013 des cinq associations présentes dans les centres et locaux de rétention administrative est en ligne.
Cette étude statistique s'affirme comme
"la seule source indépendante et aussi conséquente sur l’activité des centres de rétention en 2013" car "Bien que l’État dispose de bases de données très complètes, détaillées et renseignées en temps réels par les services de police et les préfectures, les chiffres officiels restent très imprécis et éparpillés".
Extraits.
" En 2013, ce sont plus de 45 000 personnes qui ont été privées de liberté.
Le nombre de retours forcés a également augmenté atteignant 44 458 personnes contre 38 652 en 2012.
Le nombre de personnes éloignées via le dispositif d’aides au retour a quant à lui, fortement chuté.
L’année 2013 marque aussi une augmentation du nombre d’enfants en rétention, essentiellement à Mayotte où 3 512 mineurs ont été enfermés contre 2 575 en 2012.
Ce rapport révèle des pratiques absurdes qui ne servent pas les buts politiques affichés.
Plus de 60% des personnes sont éloignées de force depuis la métropole dans un pays membre de l’Union européenne.
Le record de l’enfermement de citoyens européens en rétention, Roumains pour la plupart, est battu en 2013.
L’outre-mer concentre la moitié des éloignements, essentiellement de ressortissants de pays limitrophes.
Cette politique est mise en œuvre au détriment d’un accès effectif à la justice pour les personnes éloignées qui sont privées du contrôle du juge judiciaire, dans une proportion de 54% en métropole et de 99% outre-mer.
Sans examen des procédures par le juge, l’administration peut agir alors sans risquer d’être sanctionnée.
Pourtant, lorsqu’elles ont la possibilité de défendre leurs droits, 27 % des personnes enfermées sont libérées par un juge, un chiffre qui démontre l’illégalité d’une grande partie des procédures.
Les observations et les chiffres collectés par nos associations dans les centres de rétention montrent une réalité toute autre :
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Une part importante des personnes étrangères visées sont renvoyées vers un pays de l’Union européenne.
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Parmi elles, des citoyens européens, jouissant en principe d’une liberté de circulation et d’installation en France, ainsi que des ressortissants non européens, souvent expulsés dans un pays frontalier comme l’Italie, la Belgique ou l’Espagne d’où le retour est fréquent.
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Toujours contrairement à l’idée d’une expulsion vers une destination lointaine sans retour en France, nombre de personnes sont interpellées outre-mer, enfermées, puis embarquées pour une île proche ou l’autre rive d’un fleuve car ce sont des ressortissants de pays voisins. Pour une bonne partie, ces derniers reviennent aussitôt la frontière passée au risque de se noyer et d’être traumatisés par un nouvel enfermement.
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L’illusion de pouvoir ériger des frontières étanches en réprimant les flux migratoires est construite au prix de l’oubli des connivences géographiques et humaines de ces territoires.
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Enfin, en lieu et place de « clandestins » sans liens ni droits à demeurer en France, certaines parmi les personnes qui se trouvent en rétention y disposent de fortes attaches personnelles et familiales, sont demandeurs d’asile ou ont parfois rencontré de multiples obstacles pour faire valoir leurs droits, en tant que personne malade par exemple".
Autre exemple d'utilisation surprenante de l'expulsion, le simulacre infligé à des Soudanais en route pour la Grande-Bretagne et qui se trouvaient bloqués à Calais. Interpellation, délivrance d'une obligation de quitter le territoire (OQTF), enfermement dans le centre de rétention de l'aéroport Charles De Gaulle.
Rappel de la procédure normale: la justification de l'enfermement est de garder la personne sous la main le temps d'organiser sa "reconduite à la frontière" - passeport, laissez-passer consulaire, vol, escorte.
Pendant ce temps, la personne a quelques droits: contester la décision d'expulsion devant le tribunal administratif, qui statue dans les 48 heures et, s'il est encore là au cinquième jour, le préfet est tenu de requérir du juge des libertés et de la détention la prolongation de la rétention pour vingt jours supplémentaires.
Dans le cas de ces Soudanais, la situation politique de leur pays interdit de les y reconduire (on est pas des sauvages, tout de même!).
Le préfet a trouvé le compromis: après avoir obtenu du tribunal administratif la confirmation de l'OQTF, il fait libérer ses prisonniers avant même d'avoir à demander la prolongation de l'enfermement!
Une optimisation juridique que l'on qualifierait difficilement de républicaine.
Toutes ces procédures juridiques encadrant l'enfermement, qui permettent à plus d'une personne sur quatre de retrouver la liberté, c'est bien embêtant.
Et puis, les centres de rétention, ça coûte cher à l'État.
D'où le projet de développer plus encore les procédés parallèles mentionnés dans le rapport 2013 des associations - essentiellement la généralisation et le renforcement du contrôle de l'assignation à résidence, avec comme cibles privilégiées les réfugiés dits "demandeurs d'asile" qui n'ont pas réussi à convaincre les autorités de la réalité des dangers qu'ils courent en cas de retour forcé dans le pays qu'ils ont fui.
La discussion du projet de loi "asile" par le Parlement commence la semaine prochaine.
Martine et Jean-Claude Vernier
Chez votre libraire Être étranger en terre d'accueil, 77 regards sur l'immigration.
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