UNE GARDE À VUE BIS


Vial'Observatoire citoyen du Centre de Rétention Administrative de Palaiseau.


Le Conseil des ministres a examiné vendredi 28 septembre un projet de loi permettant de retenir jusqu'à 16 heures les sans-papiers, un dispositif destiné à remplacer leur garde à vue désormais illégale.


Le ministre de l'Intérieur a présenté un système de "retenue" en commissariat pour une durée maximale de 16 heures des étrangers en situation irrégulière, placé "sous le contrôle de l'autorité judiciaire".

Le texte abroge par ailleurs une partie "du délit de solidarité" pour les personnes aidant de manière désintéressée un clandestin.

Le projet de loi sera présenté à la commission des Lois au Sénat vers la mi-octobre pour un vote idéalement en novembre, déclare une source au cabinet.

Cette nouvelle mesure de rétention à destination exclusive des étrangers, se substituant à la garde à vue peut laisser craindre que les objectifs d'expulsion demeurent inchangés.


Depuis une décision de la Cour de cassation le 5 juillet interdisant de placer en garde à vue les sans-papiers, les policiers ne pouvaient retenir les étrangers plus de quatre heures, délai maximal prévu par la procédure de vérification d'identité.

Manuel Valls avait annoncé fin juillet qu'il proposerait à l'automne un nouveau "dispositif".

Il avait initialement évoqué une retenue de douze heures maximum.

"On peut regretter qu'il s'agisse d'un dispositif spécifique qui sorte du droit commun", réagit Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile (FTA).

Quelles garanties?

"Dès lors qu'on le fait, il faut se demander quelles sont les garanties données aux personnes retenues ?

Est-ce que les avocats, les associations auront droit d'accéder aux locaux ?" s'interroge-t-il.

La décision de la Cour de cassation découlait de deux événements distincts.

Une réforme entrée en vigueur en France au printemps 2011 a limité le recours à la garde à vue aux seuls cas où une personne est soupçonnée d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement.

Or, six mois plus tard, la Cour de justice de l'Union européenne(CJUE) a rendu un arrêt affirmant qu'un étranger en séjour irrégulier ne pouvait être emprisonné sur ce seul motif.

Pendant les six premiers mois de 2012, les tribunaux français ont rendu des décisions conflictuelles sur le sujet, jusqu'à ce que la Cour de cassation tranche contre la garde à vue.

60.000 étrangers en garde à vue en 2011

L'an dernier, sur près de 100.000 étrangers ayant fait l'objet d'une procédure pour séjour illégal, 60.000 avaient été placés en garde à vue, selon les associations.

Par ailleurs, le projet de loi supprime le délit d'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier, passible de 5 ans de prison et 30.000 euros d'amendes, quand l'aide fournie est désintéressée.

Il s'agit de mettre un terme aux poursuites contre les associations d'aide aux étrangers ou les particuliers "généreux", sans empêcher la répression du trafic d'êtres humains.

"C'est une mesure symbolique importante", estime Pierre Henry. "Mais dans les faits, ce délit n'était pas appliqué depuis deux ans."


La France incarcère les sans-papiers depuis 1938, et la loi prévoit un an de prison et 3 750 euros d'amende pour séjour irrégulier.

Mais la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie du cas d'un Algérien entré illégalement en Italie, avait estimé le 28 avril 2011, au regard de la "directive retour" européenne, qu'il n'était pas possible de l'écrouer au seul motif qu'il était en séjour irrégulier, même en violation d'un ordre de quitter le territoire.


C'est l'arrêt El-Dridi, qui a provoqué une série de remises en liberté de sans-papiers.

L'affaire s'est compliquée avec un nouvel arrêt de la Cour de justice, le 6 décembre 2011, appliqué à la France mais si byzantin que la Cimade, une association de soutien aux étrangers, s'était félicitée que le gouvernement ait été

"encore une fois désavoué par la justice européenne",

alors que les ministres de l'intérieur et de la justice de l'époque avait "pris connaissance avec satisfaction de l'arrêt".

La chambre criminelle de la Cour de cassation, sollicitée pour avis, a tranché : depuis la loi du 14 avril 2011, une garde à vue ne peut être décidée

"que s'il existe des raisons plausibles de soupçonner"

que le suspect a commis une infraction "punie d'emprisonnement".


Or, la directive européenne du 16 décembre 2008,

"telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne"

impose qu'un étranger mis en cause pour une infraction au séjour

"n'encourt pas l'emprisonnement" : "Il ne peut donc être placé en garde à vue à l'occasion d'une procédure diligentée de ce seul chef."

La chambre civile de la Cour, qui avait sollicité l'avis de la chambre criminelle, n'est pas tenu de le suivre, mais elle devrait désormais logiquement appliquer ce raisonnement aux pourvois en cassation qui lui ont été soumis.

Près de 500 personnes sont condamnées en France tous les ans pour séjour irrégulier, dont 200 à de la prison ferme.