Sans papiers :
la paisible machine à broyer les vies
02 avril 2013 | Par RESF – Mediapart.fr
Lundi 25 mars, 9h30, il y a déjà du monde dans la salle du Tribunal Administratif (TA) de Melun, refaite il y a quelques années : pupitres et rangées de sièges de bois clair, micros que les magistrats ignorent, hélas.
Des avocats, des gens de tous âges, de toutes origines, tendus.
Une jeune africaine, sa fillette de deux ans dans les bras, une jeune femme enceinte, deux hommes, l’allure de cadres en WE, deux femmes très BCBG, quelques jeunes, un monsieur d’un certain âge.
Deux militants RESF accompagnent une jeune femme, française, mère de Mehdi, un petit garçon de 4 ans et demi, français lui aussi et handicapé.
Anis, le père de l’enfant est marocain. Il a perdu ses papiers et son travail quand, après quatre années de mariage, le couple a divorcé.
Mais les parents sont en bons terme et Anis prend largement son fils en charge.
Le car en provenance du centre de rétention du Mesnil-Amelot arrive.
Un coup d’œil pour vérifier que les retenus ne sont pas menottés en arrivant devant leurs proches.
Un policier nous rassure : «Pas de menottes quand ça se passe bien».
Les huit retenus sont installés sur une rangée, leurs proches se placent juste derrière eux, les enfants se calent dans les bras de leur père qu’ils ne quitteront pratiquement pas de toute l’audience.
Les couples se tiennent parla main.
Emotions contenues, le lieu n’est pas propice aux épanchements.
Arrivée de la présidente, jeune, visage fermé.
Pendant toute l’audience, on la sent cramponnée au droit, refusant, comme certains magistrats dans ces situations, d’entrer dans les récits de vies chaotiques que peignent les avocats ou qu’évoquent les retenus.
«J’applique la loi», fausse planche de salut des juges comme d’autres, en d’autres temps, se justifiaient d’un sommaire «J’exécute les ordres».
Le défilé commence.
Un Indien, père de deux enfants d’une première union, il a une petite fille de deux ans qu’il tient dans ses bras d’une seconde union avec une française présente elle aussi, enceinte de jumeaux.
Bientôt cinq enfants dont trois français et menacé d’expulsion !
Libéré.
Un homme, Haïtien, en France depuis plus de 10 ans qui, naturellement, travaille : son patron, le monsieur d’un certain âge, horticulteur, se tient à ses côtés, expliquant avec véhémence qu’il a besoin de son employé que, visiblement, il apprécie beaucoup.
Libéré aussi.
Un Egyptien atteint d’une hépatite C dont la police a décrété qu’il ne lisait ni n’écrivait le français mais qu’il le comprenait parfaitement faute de pouvoir lui fournir un interprète.
On lui a même fait déclarer qu’il n’avait pas de compte bancaire alors que l’avocat brandit son chéquier.
Sa compagne est présente et ne lui lâche pasla main.
Maintenu en rétention pour 20 jours qui, si son expulsion n’a pas lieu pendant cette première période, pourront être renouvelés une fois.
Un Turc, son cousin est présent pour le soutenir, les deux dames bien mises aussi. Maintenu en rétention.
Un Marocain en situation régulière en Espagne où il travaille, logement, famille.
Il a voulu passer quelques jours de vacances à Paris.
Il est venu en voiture.
Contrôlé en sortant de chez ses amis, il se retrouve en prison pour étrangers, son véhicule saisi…
Une forme de tourisme à la française qu’il n’avait pas imaginée.
Ses amis outrés non plus !
Libéré, mais cinq jours de rétention quand même !
Un Tunisien, débouté de sa demande d’asile il y a quelques années, navigue entre l’Italie et la France.
Maintenu en rétention.
Encore un Egyptien que la police accuse d’utiliser trois alias alors qu’il s’agit d’erreur de transcription de ses prénoms et de son nom composé.
Sa compagne, française et enceinte est dans la salle.
Maintenu en rétention.
Enfin Anis, père de Mehdi qui refuse de quitter ses bras quand il comparait, son ex-épouse à ses côtés.
Impossible de ne pas voir le handicap de l’enfant.
Renvoyer son père au Maroc serait leur interdire de se voir même en vacances du fait de la pathologie de l’enfant.
Le passeport d’Anis lui a été confisqué lors de l’un de ses trois séjours précédents en rétention.
La jeune présidente, sans doute très ouverte et agréable dans la vie, maintient Anis, père de Mehdi, en rétention.
En toute légalité, certainement.
En toute équité ?
Sentiment, au sortir de ces sept heures d’audience et d’attente des décisions, d’un immense gâchis.
Chacun des hommes extraits du Mesnil-Amelot a une vie ici, un travail, des activités, un milieu, souvent une compagne, parfois des enfants vivants ou à naître.
Ils sont à l’évidence membres de plein droit de la société à laquelle ils apportent ce qu’ils sont, ce qu’ils font. La douzaine de policiers débonnaires, parfois indignés des missions qu’on leur impose, le sait et, parfois, le dit à demi-mot.
La magistrate, la greffière, le public le savent.
Mais la machine à broyer tourne, aveugle et stérile, pour qu’un ministre, Guéant hier, Valls aujourd’hui avec d’autres mots, assure, avec la conviction du bonimenteur qui vous fait les poches, «lutter contre l’immigration clandestine».
Le lendemain, mardi 26 mars, 13h30, au TGI de Meaux cette fois, devant le Juge des libertés et dela détention.
Trois de ceux qui ont été maintenus en rétention à Melun s’y retrouvent avec, pour partie, les mêmes policiers qui ne prennent plus de précaution pour marquer leur sympathie pour Anis et leur compassion pour Mehdi.
Tentative avortée de dialogue avec l’avocate de permanence, style vous n’y connaissez rien, ici on ne plaide que sur les conditions d’interpellation et de placement en rétention, pas sur le fond.
De fait, elle bâcle sa plaidoirie en moins d’une minute et présente un unique argument de droit : l’heure trop tardive à laquelle les policiers ont communiqué ses droits à Anis (voir un avocat, un médecin, etc).
C’est celui que, par la force de choses, le juge retient mais ses questions sur la situation de famille d’Anis, le lieu de naissance de Mehdi, son regard sur le petit garçon disent, qu’au-delà du droit, c’est une volonté de justice qui l’anime.
Le procureur de la république ayant renoncé à faire appel de la décision du JLD, Anis est libéré.
Les policiers de l’escorte sont presque aussi contents que lui !…
Le lendemain, Anis arrive bouleversé au rendez-vous que nous avons pour préparer la mobilisation destinée à arracher sa régularisation : le commissariat de Vanves vient de le convoquer par téléphone.
Incompréhension. J’appelle, le policier ne veut rien me dire.
L’adjointe au maire de Bagneux chez qui nous nous réunissons téléphone à son tour.
On lui annonce qu’Anis doit venir chercher une convocation.
Au commissariat où je l’accompagne, nous découvrons avec effarement qu’il est convoqué le lendemain à la cour d’appel du JLD parce que la préfecture des Hauts-de-Seine a fait appel de sa libération.
Le JLD l’a libéré, le procureur n’a pas fait appel, les policiers, la greffière, le public, tous ceux qui à un titre ou un autre ont eu à connaître de l’affaire ont applaudi, la maire de Bagneux, des élus, la députée sont intervenus.
Rien n’y fait.
La bureaucratie papelarde a ses chiffres à faire.
Dix années de sarkozysme l’ont dressée à ne pas lâcher ses proies, à bousiller des vies, la conscience en paix.
Celle d’un enfant de quatre ans et demi, par exemple que l’expulsion de son père condamnerait à ne pratiquement jamais le revoir du fait de son handicap qui lui interdit de s’exposer au soleil.
Richard Moyon RESF 92-Sud
PS. Depuis lors la cour d’appel a validé la décision du JLD de Meaux.
Anis est donc libre… mais toujours sans papiers.
Son arrestation a soulevé une réelle émotion à Bagneux (92), sa ville.
Une mobilisation «Bagneux protège ses enfants» se met en place pour les trois familles sans papiers ayant des enfants scolarisés connues dans la ville.
POUR SIGENR LA PETITION : http://resf.info/P2511
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