Plaidoyer pour nos plus vieux jeunes majeurs
RESF 34 et Cimade Languedoc Roussillon
Ils sont entrés en France à 13 ou 14 ans.
Ils y ont déjà suivi leur scolarité et sont restés aussi longtemps que possible dans le système scolaire qui leur offrait une certaine protection, là où on les acceptait, sans avoir vraiment le choix.
Maintenant ils ont 23 ou 26 ans, ont passé près de la moitié de leur vie en France où ils sont parfaitement intégrés : la France est désormais leur pays. Ils aspirent à y mener une vie normale alors qu’ils sont toujours sous la menace d’une obligation de quitter le territoire, qu’ils sont interdits de travail et doivent vivre d’expédients.
Peut-on leur reprocher leur entêtement à vivre ici, chez eux, parmi nous ?
C’est en France qu’aujourd’hui est leur vie. Leur pays d’origine, pour certains, ils n’y ont pas mis les pieds depuis 9 à 13 ans car ils n’ont pu obtenir de Document de Circulation pour Étranger Mineur (DCEM).
Mais prétextant, entre autre, de soi-disant attaches familiales au pays, on leur refuse un titre de séjour « vie privée et familiale » auquel de fait ils ont droit, titre que la circulaire Valls permet de délivrer à leurs cadets de 5 à 8 ans atteignant 18 ans, après 3 ans de scolarisation.
Au mieux on leur délivre après des mois d’attente un titre précaire qui ne relève pas de leur situation…
Nous les suivons depuis des années. Ils ont tous des compétences, certains de véritables talents qu’ils ne peuvent exercer.
Ils se sont constitués en collectifs pour se souteniret se battre pour retrouver leur dignité.Plusieurs d’entre eux ont été soutenus par des milliers de citoyens, par des élus locaux ou nationaux, anciens ou récents, par des personnalités, par des artistes…
Où est la justice, où est l’égalité de traitement ? Combien d’années encore devront-ils galérer à la recherche de titres de séjour précaires avant de pouvoir mener une vie normale, celles de leurs voisins et de leurs copains ?
Nous demandons instamment
qu’ils puissent obtenir de droit
un titre de séjour « vie privée et familiale ».
EN FRANCE DEPUIS SES 8 ANS, VALLS VEUT L'EXPULSER
AMAL-NASSIMA, 18 ans, en France depuis l’âge de 8 ans et que Valls voudrait expulser…
Amal-Nassima arrive à Grigny (91) à l'âge de 8 ans, confiée par kafala marocaine à son oncle maternel et à sa tante, titulaires d’une carte de résident, installés en France depuis une vingtaine d’années.
Ils ont sept enfants, six sont nés en France et ont aujourd’hui la nationalité française, l’aîné a une carte de résident.
Nassima suit toute sa scolarité en Essonne à partir du CE2.
Au mois de juin 2012, qui restera gravé dans sa mémoire, elle a 18 ans, obtient son CAP et dépose sa demande de titre de séjour vie privée et familiale.
Trois mois plus tard le couperet tombe : rejet et obligation de quitter le territoire français aux motifs qu'elle n'est plus scolarisée et que ses parents vivent au pays.
La kafala qui lui avait pourtant permis d'obtenir un un DCEM (document de circulation délivré aux enfants d'étrangers en situation régulière) n'est pas jugée suffisante pour attester de ses attaches familiales en France.
Amel, sa cousine, sa grande sœur de cœur, 31 ans, fiscaliste, nous écrit son écœurement et sa colère.
« Ma sœur, (car oui, je la considère comme telle), est arrivée en 2003 en France. Ses premiers jours dans notre famille, Nassima ne se séparait pas de ma mère. Elle n'était alors encore qu’une enfant de 8 ans.
Sa mère est décédée lorsqu’elle avait 3 ans. Dès lors, par charité et par compassion, ma mère a pris sous sa protection cette enfant qu’elle considère aujourd’hui comme sa propre fille.
Les liens du cœur prennent le dessus sur les liens du sang. Mes parents ont donc recueilli l’enfant mineur par kafala.
La kafala se définit comme l’acte, validé par l’autorité judiciaire, par lequel une personne s’engage à recueillir un enfant mineur.
Elle implique que l’accueillant assure la protection de l’enfant mineur et pourvoit à ses besoins d’entretien et d’éducation. Elle est donc organisée dans l’intérêt de l’enfant.
Les législations de certains Etats du Maghreb, notamment celles de l’Algérie et du Maroc, fortement inspirées du droit musulman quant au statut des personnes et au droit de la famille, prohibent l’adoption telle qu’elle est organisée, avec tous ses attributs, par le Code civil français.
Elles n’envisagent que des cas de transfert de l’autorité parentale : la kafala.
Une adoption officielle n’était donc pas envisageable. Cependant, la kafala a été reconnue comme une mesure de protection de l’enfant par l’article 20 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989.
Dès son arrivée, mes parents n’ont fait aucune différence. Mes frères et sœurs et moi-même l’avons tout de suite considérée comme notre sœur.
Ma mère l’a inscrite à l’école quelques jours après son arrivée en France. Elle a appris le français très rapidement et a trouvé aisément ses marques dans la cellule familiale. Elle s’est donné les moyens pour réussir à l’école.
Sa place au sein de notre famille ? C’est une adolescente de 18 ans, qui aime danser sur des musiques indiennes ou marocaines les jours de pluie… que dire d’autre ?
Elle aime passer du temps avec ma plus grande sœur Laila, qui est sa confidente.
Elle adore ma mère. Leurs liens sont très fusionnels….
Mes liens avec Nassima sont identiques aux liens que j’ai avec ma sœur Inesse (qui a le même âge). On fait souvent du shopping et on discute beaucoup des études car j’y attache une importance particulière.
Quand ma sœur m’a appelée, paniquée, pour me dire qu’elle avait reçu la lettre de la préfecture lui notifiant le refus de titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français, mon cœur s’est emballé. Une profonde colère s’est emparée de moi.
J’ai directement pris un avocat. Mais à dire vrai, il n’a pas été d’une grande utilité. Il n’a fait aucune démarche ni entrepris de recours pour défendre son cas. J’étais outrée…
Il s’agit quand même de la vie d’un être humain, d’une orpheline de mère qui a ses attaches en France.
Il s’agit de ma sœur. Impossible pour ma famille et moi d’envisager une éventuelle séparation…
Sa vie est en France. Ses liens familiaux sont ici. L’administration française ne fait pas preuve d’humanité. Comment prendre, en toute conscience, la décision de renvoyer une enfant au Maroc, sous prétexte qu’elle a atteint la majorité ? C’est scandaleux.
Que va-t-elle faire au Maroc ?
Qui va subvenir à ses besoins ?
Elle n’a que 18 ans rappelons-le. Sa mère est décédée et son père est très âgé.
La rigidité de l’administration quant à l’immigration me choque. Il faut considérer les dossiers de demande de titre de séjour avec plus de sensibilité.
Ma sœur n’est pas un numéro de dossier. Ma sœur est un être humain ».
Amel Benjana
La circulaire Valls du 28 novembre 2012 ne permet pas à Nassima de déposer un nouveau dossier de demande de régularisation : la kafala n’est pas reconnue par ce texte, Nassima n’est plus scolarisée et sa famille d’accueil (oncle maternel, tante et leurs sept enfants) n’est pas considérée comme famille proche.
Avec le soutien du Réseau Education Sans Frontières, Nassima et plusieurs autres jeunes majeurs sans papiers, laissés de côté par la circulaire Valls, déposeront ensemble leur dossier de demande de régularisation à la préfecture d'Evry le 23 janvier 2013.