A Paris,
des mineurs étrangers scolarisés
laissés à la rue
LE MONDE | 10.12.2013 à 12h17 | Par Frédéric Potet
Le premier, appelons-le Moussa, a dormi pendant deux à trois mois dans une église de Montreuil.
Le deuxième, Amadou, a élu domicile autant de temps dans la cuisine d'un foyer de travailleurs immigrés, à Montreuil également.
Le dernier, Ibrahim, a passé plusieurs semaines à la belle étoile sur un boulevard du 19e arrondissement de Paris.
Maliens et Ivoirien arrivés en Europe via Gibraltar et Lampedusa, ces trois élèves du lycée Dorian, un établissement polyvalent de l'avenue Philippe-Auguste (Paris, 11e), appartiennent à une classe
« scolarisation et insertion » réservée aux Mineurs Isolés Étrangers (MIE).
En théorie, les élèves inscrits dans ce type de dispositif sont entièrement pris en charge par les pouvoirs publics.
Si ces trois-là ont dû dormir dehors – avant d'être accueillis solidairement, il y a une semaine, dans un centre d'hébergement d'urgence pour une durée temporaire –, c'est parce qu'ils se trouvent dans une situation de « non-droit » en raison de la lenteur du processus d'évaluation de leur minorité supposée.
Des cas comme ceux-là seraient de plus en plus nombreux : « Tous mes collègues ont au moins deux gamins à la rue, et il y a dix classes de ce genre à Paris », alerte Antoaneta Petrache, la professeure unique d'une des deux classes « scolarisation et insertion » du lycée Dorian.
Il y a environ 9 000 MIE sur le territoire français, dont 1 900 à Paris.
Lorsqu'un jeune étranger en errance est repéré par les services sociaux d'un département, celui-ci est aussitôt soumis à un examen destiné à évaluer son âge.
Le dispositif débute par une évaluation sociale, réalisée par la Permanence d'accueil et d'orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie), coordonnée à Paris par l'association France terre d'asile.
Une audition censée estimer la cohérence du récit du jeune migrant est également réalisée.
Le Parquet peut alors ordonner une série de tests médicaux (dentition, pilosité, aptitudes physiques…), en plus d'une radiographie des os du poignet – un examen notoirement critiqué en raison de sa marge d'erreur.
Si le jeune est « évalué » mineur, il est automatiquement pris en charge (hébergement, nourriture, scolarisation…) par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du conseil général.
S'il ne l'est pas, il peut alors engager un recours auprès du juge pour enfants.
C'est là que le bât blesse.
A Paris, la procédure dure en effet quatre mois au minimum.
Entre-temps, le jeune peut avoir été scolarisé par une association au sein d'une classe adaptée, ce qui est le cas des trois élèves du lycée Dorian.
Moussa a ainsi été évalué « majeur » alors qu'il prétend avoir 17 ans.
Dans la même situation, Ibrahim dit, lui, avoir 16 ans et 11 mois, et non 23 ans comme il l'a pourtant confié au juge au milieu du récit – confus – de son arrivée en Italie à bord d'un bateau parti de Libye avec 300 clandestins à son bord.
Amadou, enfin, affirme avoir 16 ans mais son dossier s'est, semble-t-il, égaré entre les services sociaux de Paris et ceux de la Seine-Saint-Denis.
Dans un contexte où les foyers d'hébergement sont particulièrement saturés dans la capitale, la scolarisation de ces jeunes fait débat.
« Les inscrire d'office au lycée en leur disant qu'ils seront hébergés et nourris par l'ASE revient à créer chez eux des faux espoirs.
Je comprends le positionnement militant des associations mais il serait plus utile de travailler en amont avec ces jeunes sur des dispositifs destinés à des adultes »,
dénonce Romain Lévy, l'adjoint au maire de Paris chargé de la protection de l'enfance.
SELON LE GISTI, LA PRÉSOMPTION DE MINORITÉ
DOIT ÊTRE LE PRINCIPE
Dans son oeil de mire : un collectif d'associations (Cimade, MRAP, Gisti…) regroupées sous l'appellation Adjie (Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers).
« Il y a pourtant un principe simple à appliquer : celui de la présomption de minorité, réplique Jean-François Martini, juriste au Gisti (Groupe d'information et de soutien des (travailleurs)immigrés).
Quand on ne sait pas si un jeune est mineur ou pas, on doit lui faire bénéficier du traitement le plus favorable en attendant d'en davantage.
C'est pour cela que nous les scolarisons, au cas où… »
Au 1er octobre, l'Adjie avait saisi le juge pour enfants à 110 reprises :
45 ordonnances de placement provisoire ont été prononcées
(24 dossiers ont conclu à des non-lieux et 31 sont en attente de jugement).
« Conclusion, l'ASE a laissé au moins 45 mineurs à la rue cette année parce qu'elle ne respecte pas le bénéfice du doute », assène Jean-François Martini.
Ces chiffres ne sont pas contredits par la Mairie de Paris, mais remis en perspective : « Au départ, quelque 700 jeunes ont été déclarés majeurs cette année par la Paomie.
Ces 45 réévaluations de minorité représentent donc seulement 6 % des cas, ce qui signifie que les services sociaux de Paris ont très largement raison dans leur jugement initial », se défend Romain Lévy.
Que comprennent à ces débats les élèves de la classe adaptée du lycée Dorian ? La grande majorité n'ont jamais été à l'école dans leur pays d'origine et sont illettrés.
Cet après-midi-là, devant le tableau noir, tous s'appliquaient avec la même volonté à apprendre l'essentiel à leurs yeux : lire et écrire. Quel que soit leur âge.
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