Mineurs sans famille peut-être,
mais étrangers d'abord
27 OCTOBRE 2014 | PAR FINI DE RIRE
Pourquoi les aider à préparer à un avenir, puisqu'ils sont voués à l'expulsion à 18 ans?
Ainsi s'est-il développé tout un attirail administratif qui conduit à un abandon croissant de ces quelques milliers d'enfants que sont les mineurs isolés étrangers.
Des enfants étrangers et seuls ont commencé à arriver plus nombreux en France il y a une vingtaine d'années.
Le phénomène n'était sans doute pas nouveau, mais les tragiques années de la décennie 1990 en Algérie ont marqué une nouvelle inflexion dans les migrations à destination de notre pays.
Rappelons au passage que ces dernières sont constamment changeantes, reflétant le ressac des guerres qui nous entourent.
Pour l'administration, le mineurs isolés étrangers (MIE) sont étrangers avant d'être en danger parce qu'isolés.
Ils n'ont jamais représenté plus de 2% des effectifs à protéger, mais s'est développé pour eux toute une série de procédures qui conduisent à ce que nous avons sous les yeux:
- soupçon,
- méthodes de maquignon,
- acharnement administratif,
- formation négligée, abandon, etc.
Dans les douze derniers mois environ 8200 jeunes ont demandé une protection en tant que mineurs.
Ils ont le plus souvent 15 à 17 ans, parfois moins, et en ce moment ils viennent d'Érythrée, du Soudan, d'Afghanistan, de République Démocratique du Congo, de Syrie, entre autres.
Une moitié seulement d'entre eux ont été reconnus mineurs et isolés, et confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE, relevant des conseils généraux).
Reconnus mineurs?
Non: le terme officiel est évalués; beaucoup plus qu'une nuance sémantique.
En effet, "ce tri de la moitié des jeunes étrangers à la recherche d'une protection s'explique par la généralisation à l'ensemble du territoire du dispositif dérogatoire expérimenté depuis dix ans dans la région parisienne, consistant à soumettre les jeunes étrangers à une évaluation préalable (...) pour déterminer, au jugé, l'isolement et la minorité de l'intéressé.
Ces dispositifs reposent sur une suspicion généralisée à l'égard de ces jeunes et la mise en cause systématique de leurs documents d'identité et d'état civil malgré la lettre de l'article 47 du code civil. (...)
À l'issue de cette première phase de test, si l'évaluation conclut à la majorité ou à l'absence d'isolement, le jeune est remis à la rue. (...)
Dans ce cas-là, le seul recours possible consiste à saisir directement le juge des enfants" (Serge Slama*).
Il s'agit d'un jeune fraichement débarqué en France et ne parlant pas toujours la langue.
Si, en désespoir de cause, il saisit le juge administratif, sa requête sera irrecevable... puisque, selon son acte de naissance, il est mineur!
Pour ceux qui ont la chance d'être pris en charge, d'autres difficultés se présentent, en effet, "tout se passe comme si les mineurs isolés étrangers suscitaient trouble et embarras chez les travailleurs sociaux, remettant en cause le sens de leur travail et de leur mission. (...)
Leur vécu familial est souvent éloigné de toute référence à une parenté nucléaire classique (fût-elle marquée par le divorce et la séparation) et, plus généralement, des références culturelles françaises. (...)
Par ailleurs [ils] connaissent des situations de responsabilité, d'autonomie et d'indépendance qui contreviennent fondamentalement à l'image de l'enfance telle que codifiée en France. (...)
Enfin ces enfants font ou ont fait l'expérience de toutes les formes de précarité des société post-industrielles: précarité affective, résidentielle, alimentaire, économique et, bien souvent aussi, psychique" (Laurent Ott*).
Une série d'étrangetés pas toujours facile à aborder pour les travailleurs sociaux, et qui se trouve renforcée par le labyrinthe administratif construit autour de ces enfants nés ailleurs et sans famille ici.
Mais tous n'en prennent pas leur parti; bien au contraire, en Haute-Garonne, dans la Manche ou ailleurs, des travailleurs sociaux entrent en résistance.
"Alors que les mineurs étrangers isolés ne représentent qu’un faible nombre des enfants en danger bénéficiant d’une protection, des dispositifs spécifiques, en marge du droit commun, ont été mis en place.
Dès les premières arrivées remarquées de ces mineur⋅e⋅s en France, les services de l’aide sociale à l’enfance se sont déclarés incompétents arguant de leur difficulté à accueillir des enfants qui ne parlaient pas français, qui n’avaient pas de parents, qui étaient voués à être expulsés à leur majorité, etc.
Des services de protection de l’enfance aux procureurs de la République, en passant par les juges des enfants, les arguments ne manquent pas pour légitimer l’absence de prise en charge ou une protection au rabais.
En outre, ces mineur⋅e⋅s se retrouvent pris en étau entre des conseils généraux qui y voient d’abord des étrangers, relevant des politiques migratoires nationales, et l’État qui peine à assumer sa responsabilité dans ce domaine.
En attendant, ces enfants dorment trop souvent à la rue" (GISTI*).
Mais la solidarité des autochtones est réelle, comme le montre l'initiative de la FIDL, syndicat lycéen, qui a hébergé en urgence une partie de ces jeunes avant de forcer la main aux autorités parisiennes pour prendre le relais.
Et l'hypocrite prédiction selon laquelle ils seront expulsés à leurs 18 ans ne fonctionnera pas forcément: ces jeunes ont souvent fait preuve d'une énergie et d'une résilience hors du commun pour trouver ici sécurité et avenir; quand ils auront 18 ans, ils auront tissé des liens avec des Français de bonne volonté et déjà lancé dans le sol les racines de leur nouvelle vie ici.
* Source des citations: GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s), Mineurs isolés, l'enfance déniée, Plein Droit n° 102, octobre 2014.
Les différents articles sont mis en ligne progressivement.
On peut aussi se faire adresser un exemplaire imprimé.
On peut aussi consulter un site documentaire très complet,InfoMIE, centre de ressources sur les mineurs isolés étrangers.
Martine et Jean-Claude Vernier
Chez votre libraire Être étranger en terre d'accueil, 77 regards sur l'immigration.
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