Mineurs Isolés Étrangers :


«Certains dorment dans des parcs

ou des mosquées»


Rémi BANET - Libération - 16 juin 2014

 

Déclarés majeurs par la justice

après l’invalidation de leur acte de naissance,

ces jeunes étrangers n’ont plus droit à la protection de l’Etat.

Depuis la difficulté à faire reconnaître officiellement leur âge

à celle de se loger, se nourrir, se laver,

la vie de dizaines de Mineurs Isolés Étrangers (MIE)

 a des allures de parcours du combattant.

 

SALIM, 15 ANS :

«ON M’A PRÉVENU LE VENDREDI QUE JE DEVAIS PARTIR LE LUNDI»

Depuis un mois, Salim (1) a troqué son repas du soir contre quelques pains au chocolat.

«C’est mon ami qui me les rapporte»,

confie, timide, le jeune Guinéen, élève de seconde au lycée professionnel Gaston-Bachelard de Paris.

Mais Salim, arrivé en France seul à 14 ans en septembre, ne se plaint pas trop.

Le 11 mai au soir, quand l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) a levé sa mesure de protection,

il n’a pas pensé qu’il ne recevrait plus de titres restaurant.

«Je ne savais pas où j’allais dormir», s’est-il d’abord inquiété.

Tout est parti d’un courrier du juge des enfants qu’il n’a jamais reçu.

 

Quand il est arrivé en France, son acte de naissance a été jugé faux.

Dans ces cas-là, la justice peut demander à ceux qui se prétendent mineurs de se soumettre à des tests osseux.

Mais le foyer dans lequel Salim était hébergé a fermé début février, la faute aux poux et à l’absence d’eau chaude.

 

La convocation du juge s’est égarée et Salim ne s’est pas rendu à son rendez-vous, fixé le 17 février. Sans nouvelles de lui, le juge a prononcé une mainlevée de l’OPP, l’Ordonnance de Placement Provisoire.

Et l’ASE, pourtant censée assurer la prise en charge des MIE jusqu’à leurs 18 ans, s’est exécutée. «On m’a prévenu le vendredi que je devais partir le lundi», raconte Salim.

 

En urgence, une de ses profs est parvenue à lever 500 euros du fonds de solidarité lycéen pour lui payer 20 nuits d’hôtel.

Lorsqu’elles ont pris fin, il y a quelques jours, un autre de ses profs a réussi,

avec l’aide du Réseau Education Sans Frontières (RESF),

à lui trouver un hébergement chez un particulier dans le XVIIIe arrondissement.

Il pourra y rester jusqu’en septembre.

Salim s’est aussi procuré un nouvel acte de naissance. Il espère qu’il sera bientôt authentifié.

Autrement, il lui faudra attendre un nouveau test osseux pour bénéficier de la protection de l’Etat.

 

A la permanence de l’Adjie, un réseau d’associations de défense des Mineurs Isolés Étrangers (MIE), les bénévoles disent voir passer tous les mercredis des cas comme celui de Salim.

Et d’autres plus désespérés.

«On a des dizaines de jeunes qui sont inscrits dans des établissements scolaires et qui vivent plus ou moins à la rue», assure Sylvie Brod, ancienne prof d’anglais membre de RESF.

Parmi eux, beaucoup de jeunes dans une situation de «non-droit», attendant que leur sort soit tranché :

mineurs sur leurs papiers - ils ne peuvent donc pas solliciter le 115,

ils ont été déclarés majeurs après des entretiens ou des tests osseux, examens jugés peu fiables

par les associations.

«Il y en a qui dorment dans des parcs, d’autres qui sont hébergés dans des mosquées et d’autres encore qui dorment dans les couloirs ou les cuisines des foyers de travailleurs de Montreuil»,

détaille Jean-François Martini, membre de l’association Adjie (Accompagnement et défense des jeunes isolés étrangers - dans le XIXe arrondissement parisien) qui se souvient aussi d’un jeune à qui un gardien de stade ouvrait les portes d’un vestiaire tous les soirs.

 

 

BAKARI, 17 ANS :

«JE MARCHAIS BEAUCOUP PARCE QU’IL FAISAIT TRÈS FROID»

Un mercredi soir de fin mai, dans les locaux de l’antenne jeunes de l’avenue de Flandre, dans le XIXe arrondissement de Paris, les bénévoles de l’Adjie organisaient une rencontre avec plusieurs jeunes en situation difficile.

Une trentaine en tout, la plupart originaires d’Afrique noire.

Bakari, 17 ans, est venu chercher son courrier, sac à dos sur les épaules.

Depuis trois semaines, l’élève de CSI, une classe de première scolarisation, n’est plus à la rue mais n’a pas encore d’adresse fixe.

 

Arrivé en janvier de Guinée-Conakry, Bakari a été mis à la porte de l’ASE après avoir été déclaré majeur.

«Comme je contestais la décision, on m’a envoyé faire des tests osseux, mais je n’ai toujours pas reçu les résultats», explique l’adolescent.

Pendant trois mois, il a dormi dehors, à Jaurès (XIXe), entre le métro aérien et le canal Saint-Martin. «Le soir, je demandais de l’aide, mais personne ne voulait m’héberger.

Des gens me donnaient des titres restaurant.»

Sans sac de couchage, Bakari passe ses nuits à errer.

«Je marchais beaucoup parce qu’il faisait très froid.

Parfois, j’allais m’asseoir un peu dans les toilettes publiques», raconte-t-il.

A l’aube, il se presse dans le métro, «pour dormir un peu».

Début avril, quand il commence ses cours au lycée Hector-Guimard tout proche,

l’ado vit toujours dehors.

«Je ne m’endormais pas en cours, parce que j’avais vraiment envie d’apprendre, mais j’ai dit à mes profs que je ne pouvais pas réviser.»

Fin avril, une militante associative a fini par l’accueillir chez elle, dans l’attente des résultats de ses tests osseux.

 

 

KARIM, 17 ANS :

«UNE NUIT, QUELQU’UN M’A PISSÉ DESSUS»

A la gauche de Bakari, les coudes posés sur une petite table recouverte de paperasse, Karim a,

lui, échappé de peu à la rue.

Mais, à 16 ans, il est passé par le Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), avant d’échouer dans un foyer d’hébergement d’urgence du XIIIe arrondissement, vaste usine à sans-abri.

Il y est resté plus d’un an, dans l’attente d’un recours sur son âge auprès du juge des enfants.

«Y avait des clochards, des hommes qui se battaient tout le temps.

Une nuit, quelqu’un m’a pissé dessus», lâche-t-il dans un sourire gêné.

Malgré ça, Karim a validé la première année de son CAP chaudronnerie, qu’il termine actuellement.

 

 

Dans la pièce d’à côté, Danielle Gherissi, bénévole à la retraite, s’active. Il est 22h15.

Deux jeunes ne savent pas où ils vont passer la nuit.

Marc, 17 ans, est arrivé en France le 22 avril.

Il a dormi quelque temps chez un compatriote, mais erre dehors depuis trois nuits.

De sa voix aiguë, il explique être venu de république démocratique du Congo pour étudier.

Mais il devra attendre encore un peu :

«Je vais appeler la brigade des mineurs, soupire Danielle Gherissi.

A cette heure-là, quand il n’y a plus de place nulle part, ils les font dormir en cellule.»

 

(1) Les prénoms ont été modifiés.

 

http://www.liberation.fr/societe/2014/06/16/certains-dorment-dans-des-parcs-ou-des-mosquees_1042823

Signature non reconnue
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