Décoloniser l'imaginaire des Français,

c'est aussi lutter contre le racisme

La colonisation

vue de l’arrêt du bus

«Colonial Tour», visite critique du passé français en outre-mer.

 

14 février 2013

Par DIDIER ARNAUD - Libération

 

Un bus vert à plateforme :

  • des historiens,
  • des Verts (Eva Joly, Jacques Boutault, maire du IIearrondissement de Paris)

 

  • et le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France)

organisaient, hier, un «Colonial Tour» remarqué, dans les rues de la capitale.

L’objectif de l’opération est de montrer des lieux emblématiques liés à la colonisation et à l’esclavage.

 

Clin d’œil, les organisateurs avaient prévu un chocolat chaud Banania («Y’a bon»)

et des Chocos BN (Biscuiterie nantaise, fondée par des héritiers de la traite négrière). «Décoloniser l’imaginaire des Français, c’est aussi lutter contre le racisme»,

prévenait d’entrée Jacques Boutault avant même que le moteur du bus ne soit lancé.

Départ de la place des Victoires, au numéro 13, à l’emplacement de l’hôtel de Masssiac, où le Comité des colons tenait ses réunions, en 1789, en vue d’obtenir «l’autonomie interne» dans les colonies.

 

Puis, direction rue Vivienne, où était installée la Compagnie des Indes, spécialisée dans les commerces de «toute nature», épices, soie, porcelaine… et esclaves, bien sûr.

Elle disparaîtra dans un énorme scandale, après la Révolution, dans lequel seront impliqués des députés affairistes autour de Danton.

 

Au 56, rue de Lille (VIIe), l’entrée de la Caisse des dépôts et consignations rappelle un épisode méconnu. La sécurité, inquiète de l’attroupement médiatique, vient prendre des notes. C’est cette vénérable institution qui a géré la dette de Haïti (150 millions de francs-or) quand, en 1815, le Congrès de Vienne reconnut les intérêts de la France à Saint-Domingue, et que les colons renoncèrent à l’idée de retourner sur leur propriété.

 

Devant l’esplanade des Invalides, l’historien Pascal Blanchard donne de la voix pour expliquer l’exhibition des Kanaks et des Africains, présentés dans leurs «villages», pour que les visiteurs de l’Exposition coloniale de 1889 connaissent l’enthousiaste sensation de faire «le tour du monde en un jour».

 

L’hôtel des Invalides, lui, montre ses gros canons, «fondus à l’époque de la Régence d’Alger [avant 1830 et la conquête française, ndlr]», selon les mots de l’historien Gilles Manceron.

Là aussi, outre le tombeau de Napoléon (qui a rétabli l’esclavage en 1802),

de nombreux généraux qui ont participé à l’aventure coloniale ont droit à leurs statues.

 

En raison des embouteillages, on manquera de temps pour se rendre au 2, avenue de l’Observatoire (VIe), siège de l’Ecole coloniale, où les cadres destinés à partir diriger l’administration dans les colonies étaient formés.

La rue de Constantine, qui rappelle les riches heures de la France en Algérie, sera oubliée.

 

On ne verra pas plus l’unique «macaron» parisien, représentant une «tête de nègre», rue Danielle-Casanova.

 

On ne passera pas allée du général Laperrine, «pacificateur» du Sahara.

 

Ce tour se termine à la Goutte d’or (XVIIIe). Les premières lignes du métro y ont été construites par des Kabyles.

La collecte de l’impôt par le FLN algérien a provoqué la création des «calots bleus», force de police commandée par des militaires.

Des mitraillages de café ont eu lieu pendant les «événements» d’Algérie à Barbès.

 

L’occupation de l’église Saint-Bernard par des sans-papiers en 1996,

et, en 2011,

l’affaire des prières de rue, restent comme «catalyseurs» des contradictions de la société postcoloniale, estime Gilles Manceron.

 

Cette visite, non encore homologuée, a permis de mesurer l’ignorance sur le thème de l’histoire coloniale.

La huitième édition de la Semaine anticoloniale, qui débute aujourd’hui, pourrait être l’occasion de combler ces lacunes.

 

http://www.liberation.fr/societe/2013/02/14/la-colonisation-vue-de-l-arret-du-bus_881908

 

http://www.le-cran.fr/presse-cran-associations-noires-de-france_lire_liberation_88_0_0.html