Le héros du Pont-Neuf
sera-t-il décoré ou expulsé ?
La Dépèche - Publié le 25/11/2014
http://www.ladepeche.fr/article/2014/11/25/1998474-heros-pont-neuf-sera-decore-expulse.html
Les services de l'État lui avaient promis, dit-il, une médaille en récompense de sa bravoure et du mérite dont il a fait preuve en septembre dernier.
Mais c'est finalement une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF) qui vient de lui être délivrée par le préfet du Gers.
Depuis jeudi, Rachid J. dort au centre de rétention administrative de Cornebarrieu.
Il sera présenté aujourd'hui au juge qui dira s'il peut être remis en liberté ou renvoyé par le premier avion en partance pour Oran, la ville qu'il a quittée il y a une dizaine d'années après la mort accidentelle de ses deux parents.
Un «étranger sans papier»
Pour l'administration, Rachid J est un «étranger sans papier» âgé de 24 ans déjà connu de la police de l'air et des frontières à la suite d'un premier séjour, l'été dernier, derrière les barreaux de Cornebarrieu.
Mais le jeune homme ne se résume pas à quelques formulaires et à un coup de tampon manquant au bas d'un papier officiel.
Il l'a prouvé par une belle nuit de septembre 2014. Il était une heure du matin. Rachid J. traversait le pont Neuf à Toulouse au moment où un homme assis sur le parapet s'est jeté dans la Garonne.
Bon nageur, Rachid J. plonge immédiatement à sa suite, et parvient à le rattraper in extremis. Puis il le tire vers la berge où, aidé par un passant, il hisse le malheureux, blessé mais vivant, sur le sol sec.
La préfecture lui promet une médaille.
«L'homme était âgé d'une quarantaine d'années.
J'ai attendu pendant une demi-heure que les pompiers et la police arrivent.»
Le blessé est finalement pris en charge et évacué par les secours.
Rachid qui a expliqué les circonstances de l'accident dans son français bancal, fournit de bon gré aux forces de l'ordre son adresse et son numéro de téléphone portable.
Quelques jours plus tard, il dit avoir reçu un courrier dans lequel la préfecture de la Haute-Garonne le félicite pour son courage et lui promet une médaille en récompense.
Pour Rachid J, ce courrier préfectoral qui reconnaît sa valeur, tiendra lieu de sésame lors de plusieurs contrôles d'identité.
Jeudi dernier, pas de chance !
Rachid J. qui a quitté Toulouse pour un squat de L'Isle-Jourdain, où vit un copain rencontré dans la rue, est embarqué par les gendarmes gersois lors d'une perquisition matinale.
Lui n'a rien à se reprocher, mais ses papiers inexistants lui valent un retour sans palier au centre de rétention.
C'est la que le délégué de la Cimade (association d'aide aux migrants en poste dans les centres de rétention) découvre le burlesque tragique de sa situation.
Car si la lettre du préfet qui lui promet une médaille a disparu dans la confusion de la perquisition, la préfecture n'est pas ingrate et tient ses promesses.
Rachid raconte que la veille de son interpellation, il a été contacté sur son téléphone portable par le fonctionnaire chargé d'instruire son dossier.
Ce dernier lui confirme alors qu'il doit impérativement rester joignable pour que son service puisse le rappeler pour lui donner la date de la petite cérémonie qui sera organisée à l'occasion de la remise de la décoration.
Intrigué par cette histoire peu banale, le délégué de la Cimade contacte la préfecture qui lui confirme que Rachid J sera bien décoré dans quelques jours.
Malheureusement pour lui, le jeune homme est depuis jeudi dernier pensionnaire forcé du secteur «B» du centre de rétention administrative de Cornebarrieu.
Le héros sans papier qui n'a pas hésité à plonger à une heure du matin, pour sauver un Toulousain est renvoyé au rang des passagers anonymes pour le retour forcé.
Contactée hier par «La Dépêche du Midi», la préfecture de la Haute Garonne a indiqué ne pas s'être engagée auprès de Rachid J. pour récompenser sa bravoure.
«Nous l'avons bien contacté pour vérifier son identité et nous assurer qu'il était l'auteur du sauvetage signalé en septembre dernier, mais la décision de le décorer n'a pas été prise», déclare Olivier Delcayrou, directeur de cabinet du préfet de région.
La Cimade en revanche juge «qu'il a sauvé la vie d'un bon Français et que ça vaut bien un titre de séjour».
B.dv
EXPULSES, INTERPELLÉS,
JUGÉS ET LIBRES
«Un feu d'artifices du vice de procédure», selon Me Bruno Vinay.
Lundi et mardi, cet avocat défendait six hommes d'origine subsaharienne menacés de devoir quitter la France.
Deux étaient jugés au tribunal administratif de Meaux (Seine-et-Marne), quatre dans sa toute neuve annexe du Mesnil-Amelot, près de Roissy.
Leur interpellation avait suivi deux expulsions à Montreuil (Seine-Saint-Denis): le 22 octobre, les CRS avaient évacué une vingtaine de familles d'un immeuble promis à la démolition.
Elles avaient été accueillies par la mairie dans un gymnase ... jusqu'au matin du 29.
Sous l'œil de représentants de la mairie venus proposer un hébergement aux «personnes vulnérables», les six hommes en situation irrégulière avaient été placés en rétention, pour «troubles à l'ordre publique».
Les autres avaient été dispersés dans des hôtels de la région.
Le juge des libertés a estimé ces interpellations illégales, du fait de l'ouverture du lieu par son propriétaire.
"Si j'invite des gens chez moi, le préfet les délogera-t-il au motif d'un trouble à l'ordre public ?"
a demandé le juge à la salle.
L'un des six hommes a retrouvé son épouse dans un hôtel, les autres «vont galérer>, selon Me Vinay.
Pierre BENETTI - Libération du 16/11/2013
http://www.liberation.fr/societe/2013/11/05/expulses-interpelles-juges-et-libres_944887
Acha, un talent sans titre de séjour
Acha, ingénieure civile camerounaise sans titre de séjour
Camerounaise arrivée il y a onze ans en première année de deug de physique, Acha vient de se diplômer d’ingénieure de génie civil à l’École normale supérieure de Cachan…et de perdre son titre de séjour.
Alors que le Parlement s’apprête à débattre de la venue de talents de l’étranger, de nombreux étudiants, formés dans les universités françaises, n’arrivent pas à obtenir de titre de séjour pour travailler en France une fois diplômés et ce, malgré l’abrogation de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers.
Acha est l’une d’entre elles.
Acha m’ouvre la porte de son petit studio rangé, sa petite fille endormie contre elle. Elle a préparé des brioches et du jus de pommes sur la petite table jouxtant son canapé.
Elle souhaite raconter son histoire dont elle ne revient toujours pas.
Elle, ingénieure de génie civil, diplômée de l’ENS Cachan risque de se retrouver sans papiers.
« Je suis arrivée en France en 2002 avec un titre de séjour étudiant.
J’étudiais alors au Cameroun dans un collège tenu par des prêtres catholiques français.
Ce sont eux qui ont fait les démarches pour que je puisse aller à l’université en France.
J’ai été acceptée à Lille 1, en deug de physique et j’ai obtenu une bourse.
Ensuite, en 2004 j’ai postulé à un magister à Orsay et j’ai été sélectionnée.
Mais la situation est devenue délicate car j’ai dû commencer à travailler en même temps.
Je n’ai pas validé mon magister, je me suis inscrite en licence à Jussieu et j’ai échoué également deux fois.
Mais en 2007, j’ai trouvé un emploi à temps partiel de conseillère de vente à France Télécom et là tout est allé mieux.
En 2008 j’ai obtenu ma licence et en 2009 je suis entrée en master de mécanique des matériaux et des structures à l’École normale supérieure de Cachan ( ENS).
Je n’avais pas été acceptée dans le master de génie civil, celui que je voulais véritablement faire.
Alors une fois à l’ENS Cachan, j’ai tout fait pour entrer en deuxième année de master de génie civil et ça a marché.
Entre les deux années je suis partie en stage avec l’entreprise Vinci, au Cameroun, comme conductrice de travaux. Et puis, j’y suis retournée pour un stage plus long de fin d’études avant de me diplômer en novembre 2012.
Là, les problèmes ont commencé.
Comme je savais que je partais plusieurs mois au Cameroun, j’étais allée à la préfecture en avril pour me renseigner sur les démarches à faire à l’expiration de mon titre de séjour étudiant en novembre.
Au guichet, on m’a dit qu’il était trop tôt pour s’en occuper.
Je n’étais pas inquiète.
À vrai dire, après l’abrogation de la circulaire Guéant, je n’ai plus pensé à mon titre de séjour, je croyais que tout irait bien.
Mais quand je me suis présentée de nouveau en novembre, c’était trop tard.
Ma demande d’autorisation provisoire de séjour, le temps que j’obtienne un emploi, a été refusée, parce que je m’y étais prise trop tard.
Du coup, j’ai aussi été licenciée de mon CDI à France Télécom car je n’avais plus de titre de séjour.
En février j’ai eu une petite fille.
Cela a été plus compliqué pour les recherches d’emploi.
Peut être que si j’avais obtenu un emploi tout de suite chez Vinci, si je n’avais eu à faire que le changement de statut d’étudiant à salarié…
Maintenant, je ne sais pas quoi faire.
Je ne suis pas perdue mais je suis en colère.
Cela fait 11 ans que je vis en France.
Je me suis battue pour mes études, pour ne pas laisser tomber, j’ai travaillé en même temps, je ne suis pas un poids pour la société.
Je suis partie en stage comme expatriée pour Vinci au Cameroun.
Est-ce que je ne suis pas en train de consolider les liens entre la France et mon pays d’origine comme il est demandé aux étudiants étrangers dans la loi ?
Maintenant je ne peux pas partir comme ça.
Je ne resterai pas en France non plus comme sans-papiers, c’est une vie que je ne connais pas.
Je suis entrée en situation régulière, je veux partir en situation régulière.
Mais si je pars, cela va être une frustration énorme.
C’est partir sur quelque chose d’inachevé.
Au Cameroun, je peux peut-être trouver un contrat local comme ingénieure de génie civil, mais cela n’a rien à voir.
Je serais mal payée, il y a de la corruption, et ma fille ?
Quand, en stage à Vinci, j’ai construit une station d’eau potable pour les Camerounais, ça a été une énorme satisfaction.
D’être une femme camerounaise qui a fait de bonnes études en France et qui revient comme expatriée, j'étais fière.
Pouvoir dire que les Camerounaises ne sont pas toutes des prostituées en France. Peut être que si je repars maintenant, j’arriverais à revenir, à me faire embaucher à nouveau par une entreprise française, il y a une carte compétences et talents je crois…s’ils veulent bien repêcher un talent qui était ici et qu’ils ont fait repartir là
bas…
Si je dois partir maintenant, c’est que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour rester en France et que la France n’a pas voulu de moi. »
Témoignage recueilli par Agathe Marin / LA CIMADE
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